• Chapitre deux : On n'arrête pas de mentir en un jour.

    Ce soir-là, Léon resta muet comme une carpe. Il pensait que s'il ouvrait encore la bouche, il en sortirait quelques catastrophes.

    Chapitre deux : On n'arrête pas de mentir en un jour.

    @Willy Ronis

    Sa mère prit son silence pour de l'empathie. Menteur mais chouette môme quand même. Léon ne chercha pas à la détromper mais se sentait minable au-dedans. C'est à peine s'il osait croiser son regard.


    Il se coucha sans réussir à fermer l’œil de la nuit. Que s'était-il passé ? Cette question tournait et tournait dans sa tête qui semblait vouloir exploser. Il avait une tendance naturelle à croire de manière intermittente en dieu mais là, si le doute de l'existence de dieu pouvait subsister, celle du diable devenait de plus en plus plausible. Et le démon avait agi grâce à lui, à lui Léon, lui Léon le menteur infernal. Cette idée le terrorisait.


    Il ressassait les faits et les mensonges successifs de cette dernière journée. Quelque chose ne collait pas : comment son mensonge avait-il pu provoquer une catastrophe pareille avant même qu'il ne sorte de sa bouche? Devenait-il fou ? Et pourtant son copain Oscar était bel et bien à l’hôpital ! Peut-être avait-il cru mentir et que ce qu'il avait dit était la réalité, mais une réalité qu'il avait oubliée et qui refaisait surface...


    Il repassait sa journée dans les moindres détails et il se revoyait en train de chiper le jouet dans le cartable de son ami. Désormais cette pensée lui était pénible. Il avait prétexté avoir oublié son pull pour retourner en classe. Personne dans les couloirs et personne dans la classe. Oscar lui avait montré en douce son robot pendant la classe. Il savait donc où le trouver. Il se dirigea droit sur le cartable de son ami, prit l'objet convoité et le glissa au fond de son sac. Ni vu ni connu. Après il s’était redressé et avait regretté un court instant son geste.  Il savait qu’il ne voulait pas le garder, non, juste l’emprunter pour jouer un peu avec. Il s’affranchissait seulement de demander la permission, c’était tout. Voilà comment Léon s’arrangeait avec ses remords. Et sur le coup, les conséquences de son geste lui importaient peu. Maintenant les choses étaient bien différentes.

    Il en était là à revivre la scène de l’ « emprunt forcé » quand une idée surgit soudainement. Son sac de billes ! Mais oui, bon sang, il devait être là ! Pourquoi n'avoir pas vérifié plus tôt ?! La mère d'Oscar, qui est un peu dans les choux déjà au naturel, aura raconté des bêtises à propos de ce sac de billes.

    Il se leva, alluma la lumière et fouilla son placard à jouets. Il savait où il était. Mais il eut beau chercher, chercher partout : le sac avait bel et bien disparu. Il avait disparu de sa chambre mais aussi de sa mémoire pour finir chez son ami Oscar et le blesser gravement. Il éteignit la lumière et retourna se recroqueviller dans son lit. Il s’était rarement senti aussi seul.

    Dans l'obscurité de sa chambre, le garçon gardait les yeux exagérément ouverts, comme pour fuir les mauvais rêves qui l'assaillaient, mais cela était vain. La nuit dura une éternité.

    Le lendemain matin, la mère de Léon découvrit que son fils ne parlait pas plus que la veille, ce qui l'inquiéta. Lorsqu'elle lui proposa de l'emmener aux urgences, il fit de grands signes apeurés et suppliants. En réalité, il avait trop de peur de voir son ami Oscar, mais ça, il ne pouvait pas lui dire. Il n'avait pas la force de l'affronter. Il se sentait voleur, menteur récidiviste et lâche de surcroit.

    De guerre lasse, elle le conduisit à l'école où elle expliqua à la maitresse la situation. La maîtresse, attendrie, passa sa main dans les cheveux du jeune garçon devenu muet. D'habitude il n’aimait pas trop quand les adultes lui emmêlaient les cheveux avec leurs mains approximativement propres. Mais aujourd'hui on aurait pu lui masser le cuir chevelu avec une main imbibée de beurre, il n'aurait rien éprouvé, tellement il était sidéré par ce qui était arrivé par sa faute.

    Lorsqu'il arriva dans la cour d'école, son petit cœur déjà éprouvé se serra : quelque chose clochait sans qu'il sache exactement quoi. Pourtant les enfants étaient là comme d'habitude avec les deux maîtresses du matin discutant et buvant leur café matinal tout en surveillant la cour avec leurs yeux en mode radar.

    Il s’adossa contre le mur un peu à l’écart et chercha ce qui ne collait pas. Il s'aperçut que quelque chose différait de d'habitude: aucun enfant ne courrait, aucun d'eux ne jouait ou ne souriait mais ils étaient tous en grande conversation. Son cœur se mit à battre de manière dangereusement irrégulière lorsqu’il crut percevoir qu’on le regardait avec un drôle d'air, un air pas très amène, un air qui semble siffler : « fouteur en coma ». Mais comment pouvaient-ils savoir ? Tout cela n’avait juste ni queue ni tête. Il devenait dingue, comme sa mamie Simone qui débloquait sérieusement depuis quelque temps… Si ça se trouve, elle était contagieuse!

    Il continuait d’observer ses camarades d’école, essayant de résister à son envie de pleurer et de creuser un trou très profond dans lequel se cacher. Mais il comprit au bout d’un instant qu’il avait mal saisi ce qui se déroulait autour de lui. Des mots fusaient qu’il entendait.

    Là c’était Karima, la gamine de CM1 format catcheuse, qui parlait à Sophia, l’intello de service (pour laquelle Léon avait le béguin, mais il ne le disait à personne et en plus c’était mort, elle était en CM1 et lui en CE1) :

    • Tiens, je te le rends, c’était vraiment le plus naze jeu de la terre! Merci pas !

    • Ah ouais ? Et bien « le plus naze jeu » et « merci pas », c’est pas trop français si je peux me permettre!

    Et là Karima feignait un malaise, digne du cours Florent avant d'éclater d'un rire méchant. Plus loin il y avait Stefan qui s’enguirlandait avec Lucien, le casse-cou star des CE1.

    • Espèce de voleur de jouets !

    • Ah ouais, voleur ?! Et c’est quoi ça ?

    • Oui mais c’est cassé. Casser c’est voler.

    • Euh… Quoi ?! « Casser c’est voler » ?!, le singeait Lucien avant de reprendre: Tu dis n’importe quoi ! C’est pas ça la phrase.

    • Oui ben m'embrouille pas là et réponds-moi: t’aimerais que je te casse tes jouets ?

    Lucien s’éloigna, sans répondre, en cherchant le dicton : « Mentir, c’est voler ! Non, Donner, c’est reprendre… Non ! … »

    Cette tension allait grandissante à propos des jeux échangés, qui avait été cassés par les uns, oubliés par les autres, détestés par d'autres encore. Personne ne souriait et les regards se faisaient de plus en plus haineux, les paroles de plus en plus acides.

    Même une fois arrivés en classe, les choses ne s'arrangèrent pas comme c'est souvent le cas d'habitude. La journée fut une succession de bagarres, d'insultes que les adultes de l'école ne réussirent pas à éteindre.

     

    Et cette vilaine colère contenue pendant la journée se déchaîna à la sortie de l’école, mais cette fois-ci à travers les parents.

    • Rends-moi le jeu de ma fille.

    • Pas tant que vous ne nous rendrez pas la chaussure de la poupée Puty !

    • Tu plaisantes, j’espère ?

    • J’ai une tête à plaisanter ?

    • Je te dirai bien de quoi tu as une tête, mais tu risques de pas apprécier.

    • Redis voir un peu, duschnock, si t’oses ?

    Les conversations étaient toutes du même acabit et cela se termina en bagarre générale. Il fallut faire intervenir la police et les ambulances durent même emmener quelques parents aux urgences. Léon regardait cela aussi terrifié que s'il voyait l'apocalypse. La fin du monde à cause d’un minable sac de billes et surtout à cause d'un mensonge, le sien.

    Sa mère était venue l’attendre mais était arrivée en retard, après la bataille au sens propre comme au sens figuré. Il restait encore sur le trottoir quelques parents qui discutaient de cette histoire d’échange de jeux et qui la mirent au parfum des derniers événements. Sans tout saisir, Léon comprit que les parents allaient se plaindre auprès de la chef des maitres et des maitresses et que ça ferait vilain et qu’on les enverrai faire leurs « conneries de vivre ensemble » ailleurs, à "Auvert" lui avait-il sembler entendre.

    Mais il ne voulait pas lui ! Il ne voulait pas qu’on touche à ses enseignants. Tout cela n'était pas juste ni pour Oscar, ni pour ses maîtres. Combien de fléaux son mensonge allait-il provoquer ?! Il les aimait bien, même s'ils avaient des défauts : il y avait celui qui était maniaque et qui aurait fait la Terre carré s'il avait pu, celle qui parlait avec une voix qui collait au plafond, celle qui s’entêtait à enseigner la Zumba à ses élèves, le directeur qui voulait transformer l’école en zoo en installant des élevages de bestioles dégoûtantes dans toutes les classes… Mais même avec leurs défauts, il y tenait à ses professeurs, à ses copains et à son grand copain Oscar.

    Mais à huit ans, quand il s'agit de sauver le monde, on n'a pas trop les bonnes idées au bon moment et même plutôt le contraire.

    Il eut donc la très mauvaise idée de mentir encore une fois. On ne peut pas arrêter de mentir en une journée ! Mais revenons à ce moment-là de l’histoire. Il inventa encore une histoire rocambolesque, avec une petite voix chevrotante, signe que le mensonge n'était en rien une seconde nature.

    • Ça va pas être possible ?

    • Qu’est qui ne va pas être possible, Léon?

    • D’aller vous plaindre des enseignants.

    • Ben tiens, et pourquoi donc ?

    • Parce que... Parce qu’ils ont annoncé une tornade ce matin à la radio vers 18h et j’aimerais bien rentrer chez moi avant qu’elle n’arrive !

    • Une tornade ?! Sur Paris ?! Et au fait tu reparles ?

    Il regretta à l’instant même où il le disait ce nouveau mensonge qui lui brûlait la bouche. On ne devrait jamais commencer des phrases par « parce que ». Enfin pas lui du moins...

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